Sho’ah

Dans un article des Annales (“L’écriture de l’histoire et la représentation du passé”, No. 55, 2000, pp. 731–47), Paul Ricœur discute vers la fin les idées de Hayden White. A propos de S. Friedlander et du défi que présente la Shoah aux théoriciens du relativisme historique (Probing the limits of representation), il écrit:

H. White, interpellé, fit courageusement face au défi, en réitérant son argumentation et en avouant que sa rhétorique tropologique ne lui fournissait aucun critère immanent au discours pour distinguer la réalité de la fiction. La distinction, concédait-il, doit procéder `d’une autre région de notre capacité réceptive que celle éduquée par notre culture narrative.’

Il me semble que la réponse à cette question, ou plutôt un commentaire, se trouve dans l’essai de J. Cayrol, Pour un romanesque lazaréen et peut-être (moins) dans le style de La nuit de Wiesel. Le monde d’Auschwitz réside sinon hors discours, hors le mien, parce que tout discours (dis-cursus…) même bancal se rattache encore à l’idéal du discours, qui est d’être beau, convaincant, et imitant un déroulement de temps, et que cet idéal est lié à l’effet d’illusion créé par l’écriture. La prétention seule qu’il a d’imiter le déroulement du temps montre ses limites: que peut-il lorsque le temps est à la fois vidé et éternisé par la torture?