On passe dans les rues à côté de gens sans domicile. Quel sens cela a-t-il d’aller voir les oeuvres à la National Gallery? Je me retrouve au beau milieu d’énormes concrétions émaillées secrétées par des corps doués d’une énergie bien mal dirigée. Vastes bureaux dont le financement suffirait à mettre d’aplomb tous les miséreux des Etats-Unis? Non. D’autres pauvres viendront, ou nous en ferons. Ils seront toujours avec nous, un appel pour leurs frères plus chanceux.
Washington Memorial, face à la Maison Blanche. Trouz ar moteuriou en-dro deomp: ur c’hwezh, un heklev eus labour milionou a dud. Entre les deux centres du pouvoir, ou les poulies principales, une grande bande d’histoire, en défilé de galeries. Pour élever l’âme? C’est-à-dire pour former les désirs polymorphes et polytèles de millions qui y passent, les tirer vers le haut, une expansion de l’âme qui ne peut être qu’en contradiction avec les murs (les concrétions) érigés au sein du processus de pompage des énergies humaines, et du fond de cette contradiction pouvoir sentir comme Augustin l’appel à servir, à répondre à la souffrance humaine.
Je vais au Vietnam Memorial comme Américain, encore français de culture et de tête, mais le coeur partagé. C’est moi aussi que ces gens ont cru défendre, et je leur dois le respect, quelles qu’aient pu être leurs opinions de la guerre, une guerre menée par la propagande politique. Le mémorial s’enfonce dans la nuit des temps. Des poussières viendront en faire un tumulus. Où est le mémorial des Vietnamiens de tous bords également fauchés ou marqués par le “grim reaper”? C’est ce qu’avait voulu marquer l’étudiante à l’origine du monument: pas d’inscriptions, une pierre mémoire. Une compagnie de film tourne une publicité qui a le monument à Washington pour fonds de scène. Voilà une des poussières futures: il en sera fait de semblables près du monument aux morts du Vietnam dans quelques générations.
Réflexions sur la vénération des tombeaux….
Le bassin près du Lincoln Memorial, discret, mais “expliqué” (une manie américaine, fruit d’un complexe aussi?) comme une imitation des bassins de Versailles, etc. Pour moi, c’est tout simplement le ciel sur la terre, ou dans la terre, du moins un moment, celui des amoureux sur un banc public, dont le baiser est le signe d’une suspension des hostilités à l’infini.
Face au Smithsonian, quelques concessionnaires d’origine chinoise, il me semble, peut-être même vietnamiens? De l’autre côté, un bâtiment grotesque, néo-classique, probablement le secrétariat au commerce ou quelqu’entreprise de ce ce genre. Au tympan de gauche, un bel homme solide à la bite naturellement proportionnée, plus grande que sur les statues grecques. Sur le tympan de droite, la femme est belle également, de beaux seins ronds bien détachés, un ventre encore lisse, mais son corps, surtout les jambes, est nettement moins musclé que chez l’homme dont les genoux et les mollets se détachent nettement. Je ne continue pas à regarder par crainte d’être pris pour un voyeur.