Et maintenant?

J’ai le sentiment ce matin d’être dans un nouveau monde sans majuscules. Quelques impressions, après avoir mal dormi.

Wall Street ne s’est pas effondré et donne l’impression de récupérer rapidement. La grande nouvelle est que le gouvernement entier est à droite ou à l’extrême-droite. Je n’ose l’appeler républicain car ils sont très divisés. Il est à craindre que la surveillance de la grande banque se relâchera, l’assurance santé va retourner au Wild West (plus de vingt millions d’assurés sous cet Affordable Care Act, méprisé sous le nom d’Obamacare, mais aussi des augmentations brutales des contributions santé cette année dûes aux assurances privées), les jeunes immigrants vont perdre le peu de protections qu’ils avaient, le salaire minimum va rester très bas, allocation chômage très bas aussi, l’industrie pétrolière et charbon va reprendre sans considérations intempestives sur les effets climatiques, l’immobilier va pouvoir gonfler sa bulle, le mouvement de privatisation de l’éducation s’accélérera, etc…

J’espère que l’administration Trump n’osera pas toucher à la Sécurité sociale ou à Medicare à cause du danger électoral, mais les pressions d’un parti républicain même divisé seront fortes. Quant aux autres dossiers sociaux (avortement, mariage, homosexualité, drogue et prison), il reste à voir ce qu’une administration Trump acceptera de tolérer (Trump lui-même paraît indifférent à ce genre de questions). Je doute que les grands traités internationaux en préparation pour le Pacifique ou l’Atlantique nord ne soient pas signés, et vite, malgré l’opposition au “globalisme” du candidat Trump, car c’est le seul dossier sur lequel Obama était soutenu par le parti républicain et on peut penser qu’une entente sera vite conçue entre intérêts industriels, financiers et politiques (que ceux-ci soient d’un parti ou de l’autre).

Le fond du paysage économique reste le même: plus grande automation des tâches, rationalisation de la gestion plus extensive, création d’emplois précaires. Et donc faiblesse de la demande globale, timidité des investissements à longue durée, stagnation de la productivité, accélération continue des différentiations de revenu et de statut social.

Quant à la politique politicienne, il est difficile de prévoir ce qui va se passer dans nos deux grands partis. Quelle leçon vont tirer les membres du parti républicain de cet événement? Qu’ils doivent faire un réarmement moral (comme le suggéraient récemment les Douthat, Brooks, Wehner, et al dans le New York Times)? Ou bien que la démagogie larvée des trente dernières années ne paie que si pratiquée en grand et sans souffrir aucune hésitation de leur part? Le parti démocrate lui aussi devra monter au créneau et se demander ce qu’est une société de justice et de paix, au delà des discours qui ne coûtent rien sur l’intégration sociale, au lieu de faire une confiance aveugle à une rationalité et un calcul utilisés comme instruments de pouvoir.

Je crois qu’on va à la catastrophe un peu plus vite qu’on ne l’aurait fait sous Clinton. J’ai voté pour elle sans enthousiasme. Le Federal Reserve n’a plus d’instrument de contrôle avec le taux d’intérêt de base à zéro. Discours courageux mais lénifiants de Clinton et Obama ce matin sur le transfert de pouvoir et la bonne volonté de tous dans “notre” grande tradition démocrate. C’est de résistance qu’il s’agit maintenant.

On peut penser qu’une petite moustache ne siée pas à Trump et que nous sommes encore en démocratie. D’autres suivent dans l’ombre cependant. Que se passera-t-il quand les employés de l’industrie et des services qui ont voté pour lui dans les grandes zones industrielles défoncées s’apercevront que rien n’a été résolu, au contraire, et qu’ils ont été floués? Au Wisconsin, Michigan, en Pennsylvanie, Ohio, etc., là où on votait démocrate au temps des syndicats malgré les promesses non tenues? Mais ils le savent déjà. Ce vote de colère ne résoud rien et je crains qu’il n’annonce de plus grands mouvements.